24 février,
l'anniversaire de tous les travailleurs Le coq du rabbin Le 24 février demeure l'anniversaire de tous les travailleurs algériens et de leur centrale née en pleine guerre de Libération. A ce titre, nous ne pouvons que nous associer à cette commémoration. Mais il reste qu'il y a parfois des dérapages déontologiques dans les comportements de certains syndicalistes au sein des entreprises. Cette parabole en atteste. Alger, rue Khelifa Boukhalfa. Je me rendais à l'hôpital Mustapha pour réconforter un jeune de l'eau qui venait d'être hospitalisé. Sur mon itinéraire, une relation que l'on venait de débarquer d'une entreprise publique me tient à peu près ce langage : « Nous sommes une soixantaine de cadres qui avons été virés entre novembre 2000 et janvier 2001. Parallèlement, le P-DG a récupéré ses deux fils recalés au bac. Ils ont été promus à la plus haute catégorie. Ils ont bénéficié de prêts sans intérêt de l'entreprise, et pour couronner l'ensemble, l'aîné des gamins a obtenu, toujours aux frais de l'entreprise, une bourse pour une formation longue durée au Canada. Le cadet devait bénéficier de la même faveur en Suisse mais les Suisses ont estimé qu'il n'avait pas le niveau requis. Il faut enfin que tu saches (et c'est le plus navrant) que toute la manipulation s'est faite avec la complicité des représentants syndicaux, complètement piégés et rendus silencieux par le P-DG grâce aux prêts, promotions, réintégrations contractuelles après départ à la retraite, etc. » Avant de faire ce papier, j'ai pris le soin de tout vérifier. Il ne s'agit pas hélas d'une fable sordide enfantée par un imaginaire surexcité. Cela s'est bel et bien produit comme cela me fut rapporté. C'est en pensant à ces syndicalistes parjures que je me suis alors souvenu du coq du rabbin. Au commencement était Laghouat, la ville de Sidi El Hadj Aïssa, un contemporain de Louis, roi de France, le quatorzième du nom. Au moment où Louis XIV entamait l'étape la plus détestable de son règne, celle des bigots et de l'intégrisme de la cour, Sidi El Hadj Aïssa prêchait un islam tolérant et universel. Ceux qui ont fait du tort au saint homme l'ont plus tard payé très cher. La légende veut que ceux qui sont nés à Laghouat et qui ont été prénommés Aïssa héritent de ce terrible pouvoir. Nous étions en 1950 en l'an VI avant l'UGTA. Une maison, une cour, un jardin. Au milieu du jardin un poulailler où régnait un coq. Un chic type plus inutile qu'un conseil d'administration d'entreprise publique, plus fainéant qu'un sénateur mexicain, plus vicieux qu'une fuite d'eau. Polygame, il gérait avec diplomatie. Féministe, il autorisait ses favorites à ne pas pondre le 8 mars dans l'après-midi. Il aurait pu être haut fonctionnaire puisqu'il savait que pour contracter de nouvelles noces, un avenant suffisait. Avec son cerveau microscopique et sa crinière agressive, on aurait pu penser qu'il était taliban. Sa culture qui était aussi vaste que son cerveau était internationalement reconnue et certifiée. Le matin avant de s'exprimer, il attendait avec un tact inouï que notre pharmacienne de voisine, mademoiselle Gitard, mette Dalida à tue-tête. C'était le 24 février, je crois Avant de partir très tôt, mon père avait demandé à ma mère de faire égorger le coq. L'islam a formidablement honoré la femme en lui épargnant ce truc horrible qui consiste à trancher un cou. Cette immense dame qui est ma mère me sous-traite l'opération. Je fais dans le crime parfait. Je rends visite au sacrifié. Je le flatte, je lui dis que sans lui je ne suis rien. Il essuie une larme et se jette dans mes bras. Odieux j'ai ajouté en le caressant : « Tant que je suis en vie, personne ne te fera de mal. » J'étais déjà une sorte de représentant syndical avant l'heure. Question syndicalisme, j'étais un surdoué parce qu'à dix ans je savais mentir avec passion et sincérité. Il faisait froid, il faisait très froid, ce vent de février qui vous pénètre partout, ce vent de Laghouat qui fait hurler les acacias et les peupliers. Avec mon coq dans les bras, je guettais les premiers couteaux musulmans ou un second couteau juif. Voilà qu'avance une magnifique gandoura blanche, une légère calvitie et une barbe superbement taillée qui encadrait un beau visage. C'était M. Balouka le rabbin. Avec ce vent insupportable, j'étais prêt à me coucher en travers du vélo du rabbin. Seigneur quel vélo ! Une authentique limousine, une véritable tour de contrôle d'aéroport. M. Balouka s'arrête gentiment. Je l'aborde en arabe parce que malgré les louables efforts de Crémieux, notre rabbin ne captait pas un mot de français et visiblement il ne faisait aucun effort particulier pour entrer à l'Académie française. C'était notre rabbin et nous ne l'aurions pas échangé pour 100 rabbins de Djelfa nos voisins et frères rivaux devant l'Eternel. Le rabbin prend l'animal, s'approche de la séguia et en un geste ultrarapide, il officie. L'homme de religion dépose l'animal et poursuivit son chemin. C'est alors que la fantasia commence. Fou de douleur, le coq se relève sur ses pattes. Il se précipite sur la porte de la pharmacienne, il revient en arrière dans le plus pur style d'un libéro de la Juventus, il fonce sur un chameau poltron qui se dépêche de détaler. La seule traction Citroën qui passait tous les 24 février est paniquée. La circulation est bloquée. Dalida chantait et notre coq bambinait. C'était la fête. Nous entourons la détresse du coq et nous tapons dans nos mains. Bachir le fou, un brave gars qui avait disjonté, nous rejoint. Plus lucide que les autres, il crie : « Ripoux de tous les pays unissez-vous ! » Arrive Si Tahar, le porteur d'eau aveugle qui nous demande si le Canada, c'est avant ou après Djelfa. C'est le tour de Miyet-Hey (mort vivant) ainsi surnommé parce qu'il était aussi convivial que la morgue. Il veut entraîner le coq dans une valse funèbre. Arrive enfin un petit chien que nous avions dénommé Mikael parce qu'à l'école on nous avait parlé d'un livre célèbre Mikael chien de cirque . Mikael faisait toutes les gargotes pour collectionner des os à ronger. Il rêvait d'être patron d'une cantine. Soudain une voix grave, une voix terriblement paternaliste vient briser le charme de la fête. C'était une voix syndicale : « Aujourd'hui notre frère salarié est mort. Nous ne laisserons pas d'autres frères salariés mourir. Nous les avons avertis, nous les avertissons et nous les avertirons. A présent, dispersez-vous dans le calme et la dignité. » Au moment où la voix syndicale parle d'avertissement, on entend au loin un cor de chasse, c'était Tartarin de Tarascon qui passait des vacances à Laghouat. Dès qu'il entendait un syndicaliste menacer, ce sacré Tartarin tirait son cor de chasse et sa casquette. Relisez son histoire et vous vous apercevrez que Tartarin ne supportait pas la concurrence. C'est au dîner que j'ai découvert que les syndicalistes étaient d'accord avec mon père pour que le coq soit égorgé puisqu'ils avaient été invités au repas. En ce 45e anniversaire, j'ai une pensée immense d'émotion et de respect pour l'UGTA d'Aïssat Idir, de Benhamouda, de l'AGTA, du CNSA et de celle qui vient de rendre hommage à l'ANP. Je cède volontiers aux Canadiens et aux Suisses le soin de se souvenir de ces représentants syndicaux qui ont parjuré et trahi le serment de mettre l'intérêt des salariés au-dessus de leurs petits arrangements aussi minables que grotesques. Je rends hommage à ces représentants syndicaux qui font leur travail dans les conditions actuelles particulièrement difficiles. Je ne peux cependant m'empêcher d'éprouver un mépris profond pour ceux qui en ont fait un fonds de commerce nauséabond. Ahmed Hemmadi, ingénieur-conseil eau | |